Les œuvres d’art aident au repérage de l’art. Elles n’en sont pas la condition d’existence. L’art est une dimension de l’être humain et les œuvres d’art permettent tout au plus de converser sur la nature de cette dimension. Aussi, tant que la question de la nature de l’art ne sera pas résolue, il y aura des œuvres d’art, mais aussi des évènements comme celui-ci:
Montréal, le 3 février 2011 vers 11h du matin. Je descendais la rue Saint-Laurent depuis l’avenue du Président Kennedy vers la rue Sainte-Catherine. Une jeune femme est en train de monter la rue. Arrivée à une juste distance à laquelle on se sait vu quand autrui nous regarde, nos regards se croisèrent. Et, là, précisément là, tout en me regardant, elle dit: «Le paradis est une illusion, c’est poche». Je ne compris pas immédiatement «paradis». Je souris, nos regards se décrochèrent l’un de l’autre, nos corps se croisèrent, je continuai mon chemin tout en essayant de comprendre qu’est-ce qui «était une illusion», et qu’est-ce qui «était poche» d’être une illusion. Et tout à coup, mystérieusement, je pus recomposer la phrase: «Le paradis est une illusion, c’est poche». J’étais abasourdi par la cohérence de l’évènement, qui aurait pu être le résultat d’une mise en scène calculée, ou celle d’une chorégraphie minutieusement orchestrée. La juste distance des regards, le bon moment pour entamer le propos, et puis, cette scansion nette, que mon interlocutrice avait pris soin de marquer, juste après qu’elle eut dit « illusion ». Je comptai les syllabes, «le-pa-ra-dis-est-une-il-lu-si-on-c’est-poche». Et, comble du calcul, il s’agissait d’un alexandrin.