Jeux de bols et de voix.
Oboro (Montréal, QC).
27 avril au 1er juin 2013.
Faut-il parler d’une exposition? Je ne crois pas. L’ensemble fait œuvre. Faut-il dès lors évoquer l’installation? Pas plus. Je parlerais volontiers d’un texte. Un texte découpé en autant de paragraphes qu’il y avait d’œuvres exposées. Un texte, où les passages d’un paragraphe à l’autre permettaient d’accéder, de saisir, d’apprécier l’idée d’un désir, d’un souhait, d’un espoir même. Un désir auquel l’artiste ne pense pas, tellement le moindre geste qu’elle pose, quand elle est au travail, en est tout imprégné. Un désir qui coule dans ses veines, et qui est celui d’une humanité qui prend soin d’elle-même.
Qu’en est-il de cette humanité bienveillante, ici, où il existe encore et toujours un apartheid qui soustrait les Premières Nations à l’édification de ce Nouveau Monde que sont les Amériques?
Comment soustraire l’humanité à l’idée même d’apartheid? Étant donné l’irréversibilité de la globalisation économique, culturelle et politique, que nous connaissons aujourd’hui, c’est sans doute là le travail le plus urgent à réaliser par chaque culture, et tout particulièrement par les cultures dominantes, qui ne semblent vouloir appliquer que la politique de l’assimilation ou celle, ignoble, du génocide.
Comment, pour prendre soin d’elle-même, l’humanité arrivera-t-elle à se soustraire de l’idée de frontière – inhérente à celle d’apartheid – sans pour autant niveler les différences entre les peuples, entre les cultures, entre les individus mêmes? Tel est sans aucun doute le défi que nous rencontrons aujourd’hui, individuellement et collectivement.
Un défi que Marie Côté aura reconnu très vite, très tôt et à divers registres : comme féministe; comme céramiste qui œuvre dans le champ de la pratique artistique; comme artiste en arts visuels qui additionne le son à son œuvre; mais aussi comme artiste pour qui l’art a à faire œuvre d’ajout, de sédimentation, d’accumulation de formes culturelles distinctes, qui s’accueillent les unes les autres, sans s’assimiler ni se métisser, et qui se présentent les unes les autres comme supplément les unes pour les autres.
Dans le cas de Jeux de bols et de voix, de mon point de vue du moins, l’artiste procède à une déclinaison, sous toutes ses formes, de la frontière. Une frontière à chaque fois en trop, en excès, tellement l’exposition semble avoir été conçue pour la défaire dès l’instant où elle s’érige. Mais il faut souligner que ce travail de déconstruction, Marie Côté aura souhaité qu’il se fasse chez le spectateur au fil de ses expériences durant sa visite. C’est, je pense, à force de confronter le spectateur à une série de dualités insensées – c’est-à-dire sans fondements aucuns –, que l’œuvre arrive à assigner un point de vue depuis lequel on se met à envisager un monde sans de telles dualités, un monde sans les frontières qui les auront érigées, un monde, ou plus exactement une humanité, sans frontière.
Je n’évoquerais que quelques-unes de ces dualités : entre deux peuples (le peuple blanc et le peuple inuit); entre deux géographies (le sud et le nord); entre deux géométries (le cercle et l’angle droit); entre deux espaces (celui du plan et celui du volume); entre deux matières (la glaise et la voix); entre deux expériences esthétiques (l’expérience du perçu et l’expérience de l’entendu); entre deux formes du témoignage (celui du documentaire et celui du récit de vie).
Mais c’est sans doute cette figure du bol, d’abord réceptacle de la voix de l’autre, puis, par retournement, s’en faisant l’écho – voix de femmes et, qui plus est, de femmes d’un « peuple invisible » –, c’est donc sans doute cette figure qui ponctue on ne peut plus poétiquement l’espoir de cette humanité à venir.
Les plus pessimistes diront qu’on peut toujours rêver. Les plus confiants leur répondront que ce sont les rêves de quelques-uns qui ont conduit et qui conduiront encore l’humanité à prendre soin d’elle-même.
© Inédit.