Gianni Giuliano

Le silence parlant de l’œuvre de Gianni Giuliano.

 

Silver Linings amongst Camera Skies, 2015. Huile sur toile de lin, 152 x 91 cm.

Le peintre Gianni Giuliano appartient à la jeune génération de peintres figuratifs qui renouvellent la peinture au Québec, alors que, à l’ère des nouvelles technologies, la question de savoir s’il faut oui ou non encore peindre aujourd’hui est toujours d’actualité. Le « silence parlant » de ses peintures ou dessins invite à une critique du bruit ambiant que produit le choc incessant des images, de l’information et de l’art contemporain déferlant tous azimuts dans nos vies. 

Dans un minuscule atelier sans fenêtres, poussé par une indomptable conviction, Gianni Giuliano travaille en écho à son temps. Ses œuvres incarnent, chacune à leur façon, un même langage. On y saisit une structure qui rapporte l’un à l’autre réciproquement un paysage et un ou plusieurs personnages engagés dans une action. D’une œuvre à l’autre, le paysage sera anonyme et l’action représentée pourra varier entre l’expression d’un protagoniste plongé dans une réflexion et l’expression de gestes qui exigent force et résistance. Les actions mettent en scène de curieux accessoires dans les circonstances, bien que celles-ci dictent des poses tout à fait vraisemblables.

L’image bruit ou l’actualité de l’art

Le peintre semble travailler à contre-courant. Mais qu’en est-il du courant? Œuvres sonores, projections visuelles gigantesques, plexiglas, œuvres immersives, résidences, Berlin. Faut-il encore peindre ? Débats, discussions, conférences. On le peut, mais le faut-il ? Et s’il le faut, peut-on peindre autrement qu’abstrait ? Automatisme appliqué à d’autres modes d’expressions que la peinture, comme la photographie ou tout autre technique de cet ordre. Collage, accumulation, amoncellement d’images, au mur, au sol, à plat, en colonnes, en boîte. Ère de l’image, surconsommation de l’image ; information, expression, communication par l’image ; maniement, manipulation, rhétorique de l’image. Choc des images entre elles, sans texte pour les articuler. Brouhaha d’images. Image bruit.

À contre-courant? Pas sûr! Paradoxalement, l’œuvre de Gianni Giuliano semble être dans le ton. Paysages anonymes, actions incongrues, accessoires fantasques par rapport à la situation. Les motifs iconographiques qui composent l’image s’entrechoquent comme s’entrechoquent les images dans l’univers médiatique qui est désormais le nôtre, que ce soit devant la télévision, via internet ou la fréquentation des réseaux sociaux.

Une chose détonne cependant : son goût pour la composition de l’image sur le modèle des tableaux narratifs de l’âge baroque et classique. C’est comme s’il souhaitait un récit pour atténuer le bruit que l’étrangeté du sujet représenté produit.

L’autre de l’image bruit ou la valeur de l’œuvre

Cette manière de peindre forme chaque fois une image typique modelée au moyen d’un langage singulier qui, tout compte fait, témoigne de ce sur quoi Gianni Giuliano insiste sans relâche d’œuvre en œuvre.

Comment Gianni Giuliano se démarque-t-il? Eh bien, il conçoit l’image de chacun de ses tableaux de façon à introduire un liant entre les motifs iconographiques, tout en prenant soin de donner à ce liant la forme d’un désir de récit. Tel est, dès lors le schéma auquel l’artiste soumet, de tableau en tableau, la formation de l’image. Faire image chez Giuliano, c’est en appeler d’un récit, de manière à ce que l’image puisse montrer que l’absence de récit induit immanquablement un clash, une secousse, une bousculade, une collision, dont il ne reste guère que le bruit de l’impact.

Gianni Giuliano peint aux antipodes de l’image clash, de l’image bruit. Inutile de demander à Gianni Giuliano de nommer cet autre de l’image bruit. Il est inutile aussi de tenter de reconnaître dans son œuvre une quelconque représentation de cette autre image. Simplement, en créant les images comme il le fait, c’est-à-dire en édifiant des rencontres insolites entre des motifs iconographiques les uns contre les autres, tout en conservant le schéma du tableau narratif en usage à l’âge baroque et classique, il mime l’image bruit, la représente et établit ainsi une distance critique entre elle et le regard sur elle. Une distance qui permet de remarquer que, si bruit il y a à entrechoquer les images les unes aux autres, c’est à exclure ce qui les rapporterait les unes aux autres.

En peignant, Gianni Giuliano appelle une réflexion sur l’image bruit en tant que dispositif de l’univers médiatique actuel. Mais qui l’entendra?

© Texte publié dans Vie des Arts, n° 240, automne 2015, p. 74-75.