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Geneviève Rocher

Les échocaputchographies.

Galerie Occurrence (Montréal, QC).
24 mars au 5 mai 2012.
Un matin de juillet au lac Ouareau, 2011, impression sur bannière intérieure, 56 cm x 127 cm
Un matin de juillet au lac Ouareau, 2011, impression sur bannière intérieure, 56 cm x 127 cm

Il y a huit ans, Geneviève Rocher a commencé à photographier des petites unités de peinture dehors. Elle voulait voir, disait-elle, « l’effet de la lumière et de l’espace physique sur elles ». Et d’ajouter : « Un peu comme pour sortir l’atelier à l’extérieur ». Geneviève Rocher est connue comme peintre. Elle expose régulièrement son travail depuis une bonne vingtaine d’années. Or, la voilà qui présente sa toute première exposition de photographies. La peintre travaille sur papier, à la gouache ou à l’acrylique. Elle plie, coupe, déplie, recoupe le support, qu’elle soumet à un réseau de couleurs et de textures, auxquelles elle substitue parfois du papier imprimé provenant de quotidiens ou de revues d’art. Le résultat est éloquent : de petites unités formelles bidimensionnelles, autonomes ou destinées à d’immenses agencements, c’est selon.

Que fait la photographe ? Un complice tient une petite unité de peinture au premier plan d’un paysage. Prise de vue. Le résultat est étonnant. Un paysage auquel on a surajouté un je-ne-sais-quoi de trop, un supplément, un excès, mais qui, aussi étrange que cela puisse paraître, y trouve sa place. Ce bout de peinture dans l’image photographique va se mettre à agir comme élément différenciant : la prégnance de la valeur référentielle du photographique se met à céder systématiquement le pas à un jeu de polarités internes à l’image. Ce que je vois, je ne le rapporte plus uniquement à une quelconque extériorité, je le rapporte à un autre élément constitutif de l’image. Et du coup, je me mets à voir avec plus d’acuité le registre de la couleur, ou la décomposition de l’image en différents plans, ou encore une recomposition plus libre des rapports des motifs les uns par rapport aux autres. Mon regard s’aiguise, et un autre paysage advient, supplémentaire au premier. Un paysage en plus, dirais-je. Un paysage où, cette fois, ce sont des plans, des formes, des textures, des couleurs, des lumières, qui se rapportent les uns aux autres. Me voilà beaucoup plus sensible, dans ce que je perçois, à un libre jeu de formes.

N’oublions pas que la photographie, celle que nous pratiquons tous du moins, mime le regard que nous portons sur les choses. Aussi, en introduisant comme elle le fait un bout de peinture dans une image photographique, Geneviève Rocher transforme-t-elle ce regard en un tout autre regard, plus sensible aux formes sous lesquelles les choses se présentent à nous. Un regard de peintre en quelque sorte.

En œuvrant comme elle le fait ici, Geneviève Rocher nous sensibilise au regard du peintre et, ce faisant, elle ouvre, à qui le souhaite, les portes de l’atelier. En effet, les photographies de Geneviève Rocher nous introduisent aussi au geste de l’artiste. Un geste décisif aussi singulier que spécifique, figuré ici par ce bout de peinture ajouté au paysage, et dont le décisif relève de la particularité avec laquelle il nous assigne un point de vue depuis lequel une analyse de ce que nous percevons devient possible. N’est-ce pas là un des traits essentiels de la pratique artistique ? Si tel est bien le cas, alors, assurément, Les échocaputchographies mettraient en scène, sur le mode allégorique, l’idée que, si l’artiste destine son œuvre à autrui, c’est pour lui offrir une occasion de voir autrement, et du coup, de prendre acte de certaines de ses habitudes, parce qu’il en est, un instant, libéré.

© Texte d’introduction à l’exposition publié par la galerie Occurrence.