Au travers du repli.
Galerie Dominique Bouffard (Montréal, QC).
11 septembre au 6 octobre 2013.
L’œuvre de Pascal Caputo appartient à cette peinture savante émergente, soutenue par la galerie Dominique Bouffard; une peinture qui revisite les conditions de la pratique de la peinture compte tenu de la surenchère de l’image que notre société connaît aujourd’hui à l’ère d’Internet.
Dans Au travers du repli, la galerie présente dix peintures de Pascal Caputo tirées d’une série de tableaux, qui sont tous le résultat d’une transposition, en peinture, d’images sélectionnées sur Facebook – des portraits ou des autoportraits –, dont le peintre a préalablement supprimé la figure humaine en découpant grossièrement la surface numérique au moyen d’un logiciel de traitement de l’image.
Aussi, chaque tableau présente-t-il une étrange figure fantomatique qui semble au premier coup d’œil obstruer une bonne partie de l’image peinte. C’est systématique, elle est toujours là. Seule sa forme varie. Elle intrigue, gêne même. Mais elle gêne l’esprit plus que la vue, car dans les faits, cette figure fantomatique n’est pas peinte. Ce qu’on y voit, c’est la toile brute, immaculée, vierge. Ne serait-ce pas alors le geste, ou plus exactement la décision qu’il en soit ainsi, qui prend consistance sous les traits d’une telle figure ? Autrement dit, cette figure, plutôt que de ne rien montrer, ne donnerait-elle pas à voir une décision ? Si tel est bien le cas, cette figure fantomatique ne serait-elle pas en train de nous apprendre, au-delà de son étrangeté, que « donner à voir », ce n’est pas « montrer ». Et comme nous sommes dans le domaine de la pratique de la peinture, la leçon n’irait-elle pas jusqu’à nous faire découvrir que la peinture ne montre pas, elle donne à voir ?
Sur ce point, il faut noter combien, dans les tableaux de cette série, et plus exactement dans la manière avec laquelle ils sont peints, rien n’est caché. Tout y est en vue. Tout, absolument tout. De la toile brute aux empâtements qui la recouvrent, et qui, de dépôt de peinture en dépôt de peinture, finiraient par dessiner des paysages ou des scènes de genre, s’il n’y avait pas cette figure fantomatique pour y contrevenir. Elle intrigue; on s’approche un peu; un peu plus encore. On découvre alors les parties peintes des tableaux dans le détail. On y voit que les motifs iconographiques sont dessinés dans l’empâtement même du dépôt de peinture. Parfois, le peintre ira jusqu’à les y modeler. Du coup, pour l’œil, l’image d’un caillou, par exemple, coexiste avec l’empâtement qui le dessine. Les zones peintes des tableaux seront toutes traitées de la sorte.
Faut-il alors saisir l’exposition Au travers du repli comme un ensemble de tableaux sériés au moyen desquels Pascal Caputo se serait donné pour projet d’énoncer, au creux même de l’acte de peindre, au travers du repli de la peinture, une dialectique entre montrer et donner à voir? Autrement dit, à peindre comme il le fait, Pascal Caputo ne nous assignerait-il pas un point de vue d’où nous pouvons faire l’expérience d’une telle dialectique? Et de fait, chacun des tableaux de la série engage le regard dans les limites de ce rapport entre montrer et donner à voir, dont on comprend sans équivoque qu’elle est orchestrée par cette opposition entre une partie peinte et une partie non peinte. Une opposition qui met de l’avant l’inévitable rapport qu’il y a en peinture, et dans toute pratique artistique, quelles qu’en soient les modalités, entre faire et voir.
© Texte d’introduction à l’exposition publié par la galerie Dominique Bouffard.